Une mentalité fermée dans un monde ouvert

Matériaux éducatifs en plusieurs langues sur la Propriété Intellectuelle et le Domaine Public

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UNE MENTALITÉ FERMÉE DANS UN MONDE OUVERT

James Boyle, 2 août 2006

Dans les quinze dernières années, un groupe d'universitaires a convaincu les économistes de quelque chose que les «non économistes» eux-mêmes considèrent comme évident: «l'économie comportementale» démontre que les personnes n'agissent pas comme la théorie économique le prévoit.

Il ne s'agit pas, cependant, de défendre la sagesse populaire face aux grosses têtes. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les déviations par rapport au «comportement rationnel» n'ont rien à voir avec la merveilleuse corne d'abondance de motivations humanistes que l'on pourrait imaginer. Des modèles de comportement ont été établis. Nous sommes prudents face aux risques de pertes - nous avons alors tendance à surestimer les probabilités de perte et à sous-estimer les probabilités de gains, par exemple. Nous recourrons à l' heuristique pour définir les problèmes, mais nous restons obstinément accrochés à ces définitions même quand les faits les contredisent. Certains de ces modèles de comportement sont attachants; le souci d'égalité supposé «irrationnel» par exemple, existe chez tout le monde, à l'exception des Républicains et de ceux qui ont une formation économique. Mais la plupart de ces modèles correspondent simplement aux différents préjugés cognitifs. Il est possible de tirer avantage de ces préjugés, comme le font ceux qui nous vendent des garanties coûteuses et irrationnelles sur des biens de consommation. Ou nous pouvons les corriger, tel un pilote d'avion qui grâce a sa formation fait confiance à ses instruments plutôt qu' à sa perception défaillante, quand le ciel est très nuageux.

L'étude de la propriété intellectuelle et de l'Internet m'a convaincu de l'existence d'un autre préjugé cognitif. Appelons-le «une aversion à l'ouverture». Nous avons tendance à sous-estimer l'importance, la viabilité et la productivité potentielle des systèmes ouverts, des réseaux ouverts et de la production non-propriétaire. Faites vous-même le test en répondant aux questions suivantes. Pour chacune d'elles, imaginez que nous sommes en 1991 et que j'ai effacé de vos cerveaux toutes les connaissances acquises ces quinze dernières années.

Vous devez concevoir un réseau informatique mondial. Un groupe de scientifiques décrit un système essentiellement ouvert - avec des protocoles et des systèmes ouverts qui permettraient à toute personne d'en faire partie et d'y offrir de l'information et des produits à tout le monde. Un autre groupe - composé d'universitaires, d'hommes d'affaires et de bureaucrates - signale les problèmes : N'importe qui pourrait entrer dans le réseau et faire ce qu'il veut. Il y aurait de la pornographie, de la piraterie, des virus et du spam. Des terroristes pourraient introduire des vidéos à leur propre gloire. Votre voisin, l'activiste, pourrait faire de la concurrence au New York Times en couvrant la guerre en Iraq. Non, il vaudrait mieux avoir un système bien géré dans lequel il faudrait une autorisation officielle pour créer un site; où l'on ne permettrait que quelques activités; où la plupart d'entre nous ne seraient que des récipiendaires de l'information; où le spam, les virus, la piraterie (et l'innovation et l'expression anonyme) seraient impossibles. Quel système auriez-vous choisi?

Maintenant imaginez une forme de logiciel que n'importe qui peut copier et modifier car il a été créé avec une licence d'utilisation qui exige des programmeurs suivants qu'ils offrent leur logiciels aux mêmes conditions. Imaginez des légions de programmeurs dans le monde entier contribuant leurs créations à un «patrimoine commun». Cette méthode de production qui a l'air plutôt anarchique est-elle économiquement viable? Ferait-elle de la concurrence aux compagnies hiérarchiquement organisées qui produisent des codes en termes de propriété, fermés, contrôlés aussi bien par la loi que par la technologie?

Donnez-vous maintenant pour tâche de produire le plus grand ouvrage de référence qui ait jamais existé. Il doit tout inclure, du meilleur restaurant thaïlandais à Raleigh à la production annuelle de riz en Thaïlande, en passant par les meilleurs endroits pour observer les baleines bleues, jusqu'à l'histoire de la Blue Dog Coalition. Souhaitez-vous créer une organisation massive composées d'experts payés et d'innombrables rédacteurs qui produisent des volumes soumis au régime des droits d'auteur. Ou voulez-vous attendre que des amateurs, des scientifiques et des encyclopédistes volontaires produisent et recherchent des moteurs pour organiser cette surabondance d'information? Quant à moi, je sais la voie que j'aurais choisie en 1991. Mais je sais aussi que la dernière fois que j'ai consulté une encyclopédie... c'était en 1998.

Ce n'est pas que l'ouverture soit toujours le meilleur choix. C'est plutôt que nous avons besoin d'un équilibre entre le fermé et l'ouvert, entre l'accès restreint et libre, or il est probable que systématiquement nous trouvions toujours le mauvais équilibre. Ceci est dû en partie au fait qu'on ne comprend pas encore le genre de propriété qu'il y a sur les réseaux. Pour la plupart, notre expérience se résume aux biens de propriété tangibles; aux prairies détruites par le surpâturage des intrus. Pour ce genre de bien, l'existence d'un contrôle a plus de sens. Nous ne saisissons toujours pas vraiment la nature des biens de propriété qui ne s'usent pas avec une utilisation excessive (pensez à un segment de logiciel) et qui, plus ils sont utilisés par les autres, plus ils acquièrent de valeur (pensez à un protocole de communications). Là, les menaces sont différentes mais les possibilités de partage productif aussi. Notre intuition, nos politiques et nos modèles d'entreprise n'identifient correctement ni les unes ni les autres. Comme des astronautes en état d'apesanteur, nos réflexes s'adaptent mal à la chute libre.

Les questions que j'ai posées ici concernent la world wide web, qui a fêté son quinzième anniversaire l'année dernière. Aujourd'hui est-ce qu'on la créerait? En 1991 vous auriez ricané en entendant parler d'Internet, des logiciels libres et de l'idée de recevoir votre information de Google.. Instinctivement, le contrôle et les principes de propriété semblent être les meilleurs choix. Que pensez-vous des débats d'aujourd'hui ? Doit-on maintenir la neutralité d'Internet et le garder ouvert ou donner aux propriétaires de réseaux davantage de contrôle? Doit-on créer de nouveaux droits pour les radiodiffuseurs et les propriétaires de bases de données? Le prochain projet des économistes qui se consacrent à l'analyse comportementale devrait être d'examiner nos perceptions cognitives sur la propriété, le contrôle et les réseaux. Comme le pilote qui regarde ses instruments dans un ciel couvert de nuages, nous pourrions nous apercevoir que nous avons la tête en bas.